« HABILLER L’OPÉRA – COSTUMES ET ATELIERS DE L’OPÉRA DE PARIS »
Centre National du Costume de Scène et de la Scénographie (CNCS), Moulins
Exposition présentée du 25 mai au 3 novembre 2019
par Anaëlle Gobinet-Choukroun
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Le Centre National du Costume de Scène et de la Scénographie (CNCS) célèbre en grande pompe le 350e anniversaire de l’Opéra national de Paris avec son exposition hommage : Habiller l’Opéra – Costumes et ateliers de l’Opéra de Paris. Elle a été inaugurée le 24 mai dernier en présence de Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra national de Paris, et des responsables des ateliers de couture de Garnier et Bastille. Elle est visible jusqu’au 3 novembre 2019 au CNCS de Moulins-sur-Allier. Son propos scientifique est issu de la collaboration entre Martine Kahane, conservateur général des bibliothèques et première directrice du CNCS, et Delphine Pinasa, directrice du CNCS depuis 2011. La scénographie a été orchestrée par le duo Alain Batifoulier et Simon de Tovar.
L’exposition présente une centaine de costumes et de toiles de décor issue des collections du CNCS ou de l’Opéra national de Paris (OnP), organisée en un parcours chronologique de quatorze salles. La visite débute avec l’ouverture du Palais Garnier en 1875 et s’achève sur des perspectives très contemporaines. Le spectateur est invité à découvrir les évolutions du costume de scène et les savoir-faire des Ateliers de couture. Le parcours est ponctué d’extraits musicaux et de captations vidéo de spectacles emblématiques de l’institution, illustrant les instants forts de l’Opéra.
Habiller l’Opéra permet au CNCS de réaffirmer son rôle majeur dans la conservation et l’étude du costume de scène ancien, élément constitutif du patrimoine français. Elle fait aussi échos à une autre exposition, plus ancienne, organisée au Palais Garnier en 1995 : Opéra côté costume. Dirigée par Martine Kahane, alors directrice de la Bibliothèque-musée de l’Opéra (BMO), elle offrait un large panorama de l’histoire de l’institution et de ses ateliers, du costume de Cour aux costumes plus récents des créateurs de mode tels Yves Saint-Laurent ou Christian Lacroix (voir catalogue Éditions OnP/Plumes, 1995). Notons qu’on retrouve certains costumes exposés en 1995 dans la nouvelle exposition du CNCS : la panoplie de Vénus créée par l’artiste peintre Léonor Fini pour l’opéra Tannhäuser (1963), l’attirail de Carmen conçu par Lila de Nobili (1959), ou encore les deux tenues de Clytemnestre et de sa confidente par Andrzei Majewski pour Elektra (1974). Ces costumes sont donc indissociables de l’histoire de l’Opéra de Paris, ils sont profondément emblématiques de ses productions et ont contribué à en bâtir la légende.
La nouvelle exposition du CNCS peut aussi être rapprochée d’une autre exposition plus récente : Artisans de la scène – La fabrique du costume. Celle-ci, dirigée par Delphine Pinasa et Sylvie Perault (CERPCOS), honorait le savoir-faire des créateurs liés à la scène, détaillant tous les métiers s’y rapportant. Pour plus de détails sur les métiers et techniques des Ateliers de couture, se reporter au très bon catalogue édité en 2017 aux Éditions CNCS/Somogy.
En parallèle de l’exposition du CNCS, se tient au Palais Garnier Un air d’Italie – L’Opéra de Paris de Louis XIV à la Révolution Française, exposition débutée quelques jours après celle de Moulins. Elle est visible du 28 mai au 1er septembre 2019 dans la rotonde d’exposition sous la Bibliothèque-musée de l’Opéra (BnF/BMO). Celle-ci s’intéresse aux des périodes antérieures, en remontant aux origines de l’Académie Royale de Musique et de Danse fondée par Louis XIV. Notons cependant que la période comprise entre la Révolution Française et la toute fin du XIXe siècle a été écartée du propos de ces deux expositions. Elle fera l’objet d’une nouvelle présentation à la rentrée prochaine : Le Grand Opéra, à partir du 24 octobre 2019, également à la BMO. L’occasion de redécouvrir le genre lyrique du Grand Opéra typiquement français et emblématique de la création scénique du XIXe siècle, caractérisé autant par la quantité de figurants sur scène que par une profusion des décors et des costumes
À présent, nous vous proposons une visite détaillée salle par salle de l’exposition du CNCS Habiller l’Opéra – Costumes et ateliers de l’Opéra de Paris. Cet article est à considérer comme un guide de visite, afin de vous donner envie de vous rendre au CNCS et de découvrir par vous-même les œuvres qui y sont exposées
L’exposition s’ouvre sur le grand escalier du Palais Garnier d’où émanent des mélodies lyriques emblématiques de l’Opéra de Paris. Le visiteur a le choix entre deux sens de visite : à gauche l’Opéra Garnier, à droite l’Opéra Bastille
La section consacrée à l’Opéra Garnier nous plonge dans l’ambiance luxueuse du Palais où dominent le rouge et l’or. Sur les parois, des détails de la fastueuse architecture intérieure et extérieure, et au sol des imprimés reproduisant les mosaïques caractéristiques du lieu. Cette première section détaille la genèse du nouvel opéra parisien inauguré en 1875, ainsi que le travail des chefs costumiers de leurs ateliers.
La première salle – 1875-1914 : les premières années du Palais Garnier, création, répertoire, réemploi – nous plonge dans l’ère du « Grand Opéra à la Française ». Cette période marquée par l’érudition est celle de fastueuses reconstitutions historiques, dirigées par le « costumier en titre ». Celui-ci est l’hérité d’une tradition remontant à la création de l’Académie de Musique et de Danse au XVIIe siècle. Citons certains grands noms tels Paul Lormier, Eugène Lacoste, Charles Bianchini ou E.-J. Porphyre Pinchon. Les costumes réalisés pour ces grandes productions scéniques sont d’une minutie extrême, dans un souci du détail et de la véracité historique, ethnologique et archéologique. Ils sont largement réutilisés pour diverses productions par-delà le XXe siècle, qui les réemploient et les modifient selon les besoins dans un souci d’économie de temps et d’agent constant. Cette période est illustrée entre autres par un costume de figurant pour l’opéra égyptisant Aïda, créé selon les maquettes d’Eugène Lacoste (1818-1907) conseillé par l’égyptologue Maspéro (1846-1916). Daté de 1880, ce costume est réemployé par l’Opéra pendant près d’un siècle, jusqu’en 1968.
La deuxième salle – 1914-1944 : Jacques Rouché et la révolution esthétique – met en lumière le mandat du directeur de l’Opéra Jacques Rouché et la vague d’effervescence créatrice qui dont il est l’initiateur. Cette période très fertile voit le répertoire de l’Opéra de Paris s’élargir en intégrant de grandes œuvres étrangères. Cette période est aussi marquée par de nouvelles règles au sein de l’institution : l’abolition du privilège du décorateur et du costumier en titre, et l’obligation de roulement des équipes de création pour chaque nouvelle production. Ces changements permettront à quatre-vingt dix peintres d’endosser les fonctions de décorateur ou de costumier, et de contribuer par leur style et leur regard aux ballets et productions lyriques des années 1920. La collaboration de Jean Cocteau avec l’Opéra marque durablement les esprits : elle est le plus parfait exemple de l’unité stylistique prônée par Rouché. Cette façon de penser la scène dans sa globalité s’inscrit dans la continuité des Ballets Russes, vision initiée par Serge Diaghilev.
La troisième salle – 1929-1969 : Serge Lifar et les peintres – met l’accent sur la figure de Serge Lifar, qui intègre l’Opéra en 1929 sur le souhait de Rouché. Danseur, chorégraphe et maître de ballet, il bouleverse en profondeur les codes traditionnels de la danse. Ces changements s’expriment également au niveau du costume de danse qu’il repense en opposition totale avec le tutu habituel. Le corps doit être libéré de toute contrainte, permettant des mouvements audacieux. Pour servir son propos, il confie la réalisation des costumes à des artistes tel Pablo Picasso, Marc Chagall, Pedro Florès, Touchargues, Cassandre ou encore Cocteau, qui vont se couvrir de couleurs et de formes jamais vues auparavant sur scène.
La quatrième salle se concentre sur les années 1950, en particulier sur trois productions marquantes : Les Indes galantes, Obéron et La Flûte enchantée. Leurs mises en scène spectaculaires rappellent celles des « Grands Opéras » du XIXe siècle. Durant cette période, le Service de la Couture et de l’Habillement est réorganisé en profondeur afin de faire face à l’importance de ces nouvelles productions. Les Ateliers de couture innovent avec de nouveaux matériaux comme les textiles synthétiques ou le plastique, qui présentent des avantages différents en matière de poids, de coût et de rangement – comparés au métal doré et aux verroteries.
La cinquième salle fait référence au regain de popularité du public pour Carmen dans les années 1960. En ces temps troublés – autant sur le plan social que culturel et artistique -, la politique de l’Opéra de Paris cherche à contrer la morosité ambiante en proposant des reprises de productions anciennes redorées pour l’occasion avec tout le faste qu’il convent. On reprend donc Carmen, Tannhaüser, Don Carlos ou encore Wozzeck. Au niveau de la Danse, le répertoire de ballet s’élargit et s’épanouit grâce à de grands noms comme Maurice Béjart ou Roland Petit.
La sixième salle se concentre sur l’ère Libermann (1973-1980). Durant les sept années de son mandat, Libermann s’efforce de démocratiser l’Opéra de Paris afin de proposer « un opéra royal pour le peuple ». Cette période préfigure déjà le projet de l’Opéra Bastille. Les spectacles de cette période sont particulièrement soignés et spectaculaires. Ces années consacrent la fonction du metteur en scène dans les productions d’opéra, lequel aura désormais le choix de son équipe de travail. Les costumes s’adaptent à l’évolution des outils audiovisuels (cinéma et télévision), avec des rendus plus naturels pour les coiffures et les maquillages, ou bien des fixations presque invisibles.
Entre la première et la seconde section de l’exposition, deux salles toutes en longueur tiennent lieu de transition. L’ambiance est sombre et feutrée : on nous présente l’envers du décor, les coulisses de la création, où œuvrent les petites mains affairées qui permettent aux spectacles d’avoir lieu chaque soir.
La première de ces deux salles est consacrée à la Direction des costumes. Sont énumérées les diverses fonctions et étapes présidant à l’élaboration du spectacle : le créateur de costumes, les tissus et la tissuthèque, la conception des costumes / les maquettes, la fabrication en atelier – celui des tailleurs (costumes d’hommes) et l’atelier flou (costumes de femmes, tutu et maillots de danse), enfin l’atelier maille.
La seconde salle de cette section transitoire, De la scène au musée, présente d’autres ateliers : l’atelier de décoration sur costumes (responsables des teintures et patines des costumes, ainsi que des bijoux et masques), la cordonnerie, l’atelier modiste (pour les chapeaux et coiffures), le service perruque et maquillage, le service de l’habillement, et enfin le service patrimoine des costumes. Avec ce dernier service, les commissaires d’exposition – particulièrement sensibles au sujet, cherchent à aborder les problématiques de patrimonialisation et de conservation des costumes de scène. Autres acteurs de l’ombre, les responsables de ce patrimoine sont mis en lumière : ils œuvrent à conserver les costumes et accessoires des productions déclassées, tout en organisant leur diffusion par des expositions ou des publications scientifiques. Ces costumes dits « déclassés » ne pourront donc plus être utilisés à l’avenir, ils passent d’une fonction d’usage à un statut de pièces muséales inaliénables.
Cette section de l’exposition permet donc de replacer les métiers de la scène et de l’artisanat au cœur du processus créatif. Bien que modeste, elle incite le visiteur à se remémorer l’exposition du CNCS de 2017 Artisans de la scène – La Fabrique du costume, centrée sur ces sujets, ou à consulter son catalogue.
La suite du parcours est consacrée à l’Opéra Bastille. Le visiteur pénètre dans des salles à l’ambiance plus feutrée et moderne, parsemées de miroirs, comme une plongée dans les sombres entrailles de cette énorme machine, l’« opéra du peuple ».
La première salle – Projet, ouverture et début de l’Opéra Bastille (1980-1994) – détaille le contexte dans lequel la seconde salle de l’Opéra de Paris voit le jour. Sa construction a duré de 1984 à 1989. Cet « opéra moderne et populaire » est inauguré le 13 juillet 1982 par François Mitterrand, Président de la République. Sur le plan des productions, la période est marquée par des productions d’une grande richesse artistique et imaginaire, et par de nouvelles productions françaises et internationales : Boris Godounov (1984), Robert le Diable (1985). Avec la nouvelle salle de spectacle, les Ateliers de couture se restructurent en profondeur : ceux de Garnier se focalisent sur le travail des costumes de ballet, ceux de Bastille sur les costumes des productions lyriques. Cette répartition a toujours cours aujourd’hui.
La seconde salle met l’accent sur la direction d’Hugues Gall entre 1995 et 2004. L’arrivée de Gall implique un changement de rythme et d’échelle au niveau de la programmation : on réintroduit l’alternance, système idéal avec la nouvelle configuration de l’Opéra Bastille. L’esthétique générale des productions est de plus en plus spectaculaire : certains atteignent jusqu’à sept cent costumes ! Les Ateliers de couture adoptent de nouvelles méthodes de travail, et délèguent souvent – dans le cas des costumes des figurants, des choristes ou du corps de ballet – à des sous-traitants extérieurs au théâtre, se réservant la réalisation des costumes des premiers rôles et des étoiles. Cette période voit aussi naître le service patrimoine de l’Opéra, qui s’installe aux Ateliers Berthier, dans le 17e arrondissement de Paris, afin de faciliter la réorganisation de l’énorme stock de costumes disponibles. C’est alors qu’est initiée l’idée d’un musée consacré au costume de scène : le futur CNCS.
La troisième salle de la section Opéra Bastille se concentre sur la période allant de 2005 à 2014 qui marque un point de rupture radical avec le passé sur le plan esthétique. Initié par le directeur de l’OnP Gérard Mortier (2005-2009), le costume contemporain se transforme en profondeur. On a recours de plus en plus à des stocks de vêtements « vintage » ou bien à des achats dans le commerce. Des ventes du stock de costumes sont régulièrement organisées, adressées aux professionnels comme à un plus large public. La direction de Nicolas Joël (2009-2014) va au contraire revenir à des bases plus classiques de mise en scène, et mettre en valeur les métiers du spectacle ainsi que le rôle de l’Atelier de couture. C’est à ce moment-là que la Direction technique devient la Direction des costumes, initiative développée sous le mandat de Mortier. Ce changement permet une meilleure gestion du secteur d’activité en regroupant autant l’Atelier couture, que les services perruques, maquillages, habillement, et patrimoine.
La quatrième salle – Le costume de scène aujourd’hui – offre un état des lieux de la création de costume actuelle à l’Opéra de Paris. Le directeur de l’OnP, Stéphane Lissner, en fonction depuis 2014, parie sur des mises en scène très contemporaines et innovantes. Le costume communie davantage avec le rôle pour lequel il est conçu, il en affirme la personnalité et le statut. Ce nouveau type de costume ultra-contemporain s’intègre avec les nouveaux types de mises en scène et avec une volonté totale de modernité. La tendance actuelle veut donc atténuer l’effet d’imagination traditionnellement associé au monde du spectacle, et affirmer franchement une vision de la réalité. La célèbre affirmation de Roland Barthes « Le costume doit être un argument » est ainsi plus que jamais de circonstance. On retiendra l’étonnant costume d’astronaute créé pour La Bohème de Puccini, au décor lunaire (2017).
Pour l’avenir, les responsables de l’OnP envisagent d’agrandir les Ateliers de l’Opéra Bastille grâce à la construction d’une extension dans le prolongement du bâtiment actuel, ainsi que la rénovation des Ateliers de couture de Garnier courant 2019.
Un dernier espace de transition menant le visiteur à la dernière salle, met à l’honneur les costumes créés pour le Ballet de l’Opéra de Paris. Un hommage aux ateliers de l’Opéra Garnier, qui ne cessent de s’adapter aux corps des danseurs en perpétuelle évolution, et qui se transmettent de génération en génération un savoir-faire hors pair. Une frise chronologique détaillant les grandes étapes de l’Opéra entre 1882 et 2019, ainsi que des extraits vidéo de ballets accompagnent l’ensemble.
Enfin, la dernière salle de l’exposition bénéficie – comme toujours au CNCS – d’un vaste espace où les scénographes ont le loisir de proposer une mise en scène spectaculaire des costumes. Pour Habiller l’Opéra, Alain Batifoulier et Simon de Tovar ont tapissé la salle de miroirs afin d’agrandir l’espace, et installé deux podiums dynamiques au centre de la pièce sur lesquels cinq mannequins costumés effectuent des mouvements ascendants et descendants. Cette présentation-manège comme une danse permet de visualiser les costumes en mouvement. Cette mise en scène est particulièrement efficace dans le cas du costume de Siddharta créé pour la danseuse étoile Aurélie Dupont en 2010, costume aérien en voiles d’organza de soie rose pâle qui flotte dans l’espace au gré des mouvements de la machine. Les autres costumes présentés sur deux rangées de part et d’autre de la salle, incarnent l’histoire récente de l’Opéra de Paris – des œuvres de Nijinsky avec des costumes pour Daphnis et Chloé, L’Après-midi d’un faune, ou encore Le Sacre du Printemps, aux créations plus contemporaines comme un costume de boulles plastiques vertes de Play. La salle s’éclaire et s’éteint successivement au rythme des montées et descentes des danseurs, comme au spectacle.
CATALOGUE
Un très beau catalogue de plus de deux cents pages vient compléter le propos de cette exposition. Richement illustré, il en reprend les axes majeurs en développant chaque période. Ses autrices le présentent comme une « Déclaration d’amour aux Ateliers de costumes de l’Opéra de Paris » :
KAHANE, Martine, PINASA, Delphine, Habiller l’Opéra, costumes et ateliers de l’Opéra de Paris, CNCS, Silvana Éditoriale, 2019, 209 pages, 30€.
=> Pour plus de renseignements, se référer au site officiel du CNCS : http://www.cncs.fr/costumes-de-lopera-de-paris.
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